Fait le 7 octobre 2019, À Paris
David Belliard,
Président du groupe écologiste de Paris
Conseiller de la métropole du Grand Paris
Jean Girardon
Maire de Mont-Saint-Vincent
Président de la Commission Nationale d’Aménagement Commercial
Objet : Etude du projet commercial de la Gare du Nord à Paris
Monsieur le Président,
Dans le cadre de vos travaux, vous aurez à évaluer le 10 octobre prochain la pertinence ou non du projet commercial qui est au cœur du projet de restructuration de la gare du Nord à Paris. Lieu de tensions, de transit, détériorée et peu sécurisante, la gare du Nord doit être restructurée mais cela ne peut pas se faire à n’importe quel prix.
Le « véhicule » proposé par SNCF Gares&Connexions pour lancer cette refonte de la gare et le modèle économique décidé crée un grave précédent dans les modèles d’aménagement futur de nos villes. Positionnant de fait le propriétaire de la gare, la SNCF, dans une position d’actionnaire minoritaire au sein d’une Société Mixte à Opération Unique détenue majoritairement par un acteur privé de la grande distribution et de l’urbanisme commercial, CEETRUS, ce projet n’est pas acceptable en l’état. La gare du Nord est un patrimoine appartenant à SNCF, il existe du seul fait d’un investissement public massif et va purement et simplement être privatisé pour une durée de 46 ans, au bénéfice quasi exclusif du groupe AUCHAN. Partout sur notre territoire, dans les grandes villes comme les petites villes, pouvons-nous encore tolérer que le patrimoine public et ferroviaire, ou le bâti accueillant nos services publics de proximité soit bradé ou cédé au privé ?
Monsieur le Président, vous qui êtes Maire d’une petite commune rurale, vous savez comme moi qu’un projet de cette ampleur ne peut avoir que des effets néfastes sur la vie du petit commerce à l’échelle d’un quartier ou d’un centre-bourg, surtout quand il est conçu hors sol. Que la SNCF souhaite faire en sorte que la Gare du Nord s’ouvre au quartier est une excellente chose. Mais le prétexte de l’urgence à agir ne peut pas justifier le projet imaginé, qui selon moi est en décalage total avec les dynamiques engagées pour redynamiser le tissu local et remettre de la proximité dans le quotidien des habitant.e.s.
50 000 m² de locaux à vocation d’activités essentiellement commerciales assortis d’une salle d’exposition, une salle de concert, 5 000 mètres carrés de bureaux en co-working, 7 000 mètres carrés “d’espaces verts” (dont une piste d’athlétisme de 1km), une salle de sport des terrains de padel, basket et de golf. Ce gigantisme guidé par la seule vision de la rentabilité foncière est inacceptable. Le sujet fait aujourd’hui débat, mais il apparaît clairement que la surface destinée aux activités dépassera celle consacrée aux circulations pour accéder aux transports, malgré les dires de SNCF. C’est en soi édifiant.
L’objectif affiché est de rivaliser avec la gare londonienne de Saint-Pancras, toujours cette course à la compétitivité, cette polarisation organisée de Paris alors que je défends en tant qu’élu local et écologiste la nécessité de développer l’attractivité des autres territoires. Paris est trop dense, saturée, polluée, cassons cette dynamique intenable d’accumulation de richesses. Nous avons besoin de consacrer nos ressources financières à accompagner le développement des territoires en arrêtant de densifier l’urbain.
Par ailleurs, ce projet ne tient aucun compte des difficultés qui restent importantes dans ce quartier de la gare du Nord, un quartier mixte socialement à la jonction entre les 10e et 18e arrondissement, à proximité de quartiers relevant de la Politique de la Ville. Le tout premier projet présenté à la Maire de Paris en 2015 portait pourtant principalement sur les usages et l’ouverture sur la ville et non sur la commercialité de la gare.
Faire de la gare un lieu attractif, c’est d’abord lui maintenir sa vocation première, celle d’organiser les circulations des voyageurs. C’est ensuite innover en soutenant le développement d’activités à fort impact social. Malgré les propositions faites par les élu.e.s écologistes du 10e arrondissement en la matière, nous déplorons que la dimension ESS soit une des grandes oubliées de ce projet. L’entrepreneuriat social et solidaire porte pourtant un potentiel d’emplois important particulièrement dans le secteur de la mobilité active d’ailleurs. Allons au-delà des discours, pour prendre en compte de cette dimension.
Développement des aménagements de promotion du vélo et des mobilités actives, espaces à loyers modérés pour garantir l’accessibilité des baux à différentes structures du secteur des mobilités actives, espaces modulaires dédiés à la vie citoyenne et au monde associatif du quartier, comme des salles de répétition, de sport, de travail, espaces verts ouverts à tous et gratuits ; voilà des aménagements utiles que nous voudrions voir au sein de la gare du Nord.
Sur un enjeu aussi important, il me semble très problématique de déposséder ainsi les élus locaux et les usagers de leur capacité à influer sur le projet, or c’est précisément le cas ici avec un projet qui ne respecte pas les principes élémentaire d’une concertation menée sur le terrain. Nous devons retrouver le chemin de la concertation pour prendre en compte l’ensemble des besoins et redonner sa place à la collectivité dans les choix d’aménagement. Soyons ensemble respectueux de l’identité et du rôle des communes. Elles doivent avoir un rôle décisionnel dans la régulation des implantations commerciales. La question de la gouvernance des projets en matière d’urbanisme commercial doit être soulevée et je serai heureux de pouvoir en parler avec vous. Car nous assistons aujourd’hui presque impuissants à une stratégie de prédation des groupes de la grande distribution sur les locaux des centres-villes. Ayant acté que le modèle du grand centre commercial en périphérie des centres urbains n’est plus tenable, à Paris, ces géants rachètent massivement les petits locaux disponibles et y installent des franchisés. Nos commerces indépendants, les petits commerces de quartier, disparaissent progressivement au profit des carrefours market et autres Auchan à2pas. Une stratégie que nous avons bien du mal à contrer tant la préemption de locaux coûte cher. Ce n’est pas ce que je souhaite pour la vitalité commerciale de Paris.
Vous l’aurez compris, je suis très préoccupé par la situation et par le projet proposé par CEETRUS pour le compte de SNCF. Ce jeudi 10 octobre, la Commission nationale d’aménagement commercial que vous présidez aura à se prononcer. Pour toutes les raisons évoquées plus haut je vous demande d’émettre un avis négatif sur le volet commercial de ce projet. Cela permettra d’apaiser les choses et de relancer le dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. Évitons enfin de rentrer dans un bras de fer juridique qui ne ferait que desservir le projet de refonte de la gare du Nord, cela ne servira ni les acteurs concernés, ni les Parisiennes et les Parisiens.
Je me tiens à votre entière disposition, Monsieur le Président, pour évoquer avec vous les multiples facettes du projet qui sont, à mon sens, hautement problématiques, y compris sur les plans environnementaux, d’insertion urbaine, ou patrimoniales.
Je vous prie d’agréer Monsieur le Président, l’expression de mes sincères salutations.
David Belliard
Copies à :
Guillaume Pépy, Président de la SNCF
Anne Hidalgo, Maire de Paris
Philippe Schmit, Vice-Président de la Commission Nationale d’Aménagement Commercial
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