Lieux de tensions, confinées à leur rôle d’espaces de transit, parfois détériorées et peu sécurisantes, les gares pouvaient difficilement se revendiquer comme des lieux d’échanges et de rencontres. Elles réceptionnaient les flux arrivants et renvoyaient ceux en partance, tandis que les services et commerces proposés étaient très réduits.
Vouloir les rénover et les transformer est une ambition utile, mais encore faut-il penser ces transformations pour en faire des lieux de circulations mais aussi de mixité sociale et de rencontres.
La gare du Nord n’échappe pas à cette image dégradée. L’article 67 de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain prévoit donc en réponse, la création d’une société « Gare du Nord 2024 », dont l’objet unique est la réalisation d’une opération de transformation de la gare en vue des JOP.
C’est néanmoins un projet de transformation hors sol basé sur un modèle économique qui va à rebours de l’intérêt général ; un projet qui tient peu compte des besoins de ce quartier et entend cibler des voyageurs aux hauts revenus. Par ailleurs, le montage
financier de cette opération a clairement été pensé au détriment de la collectivité parisienne qui non seulement va devoir investir pour l’aménagement des abords de la gare, alors que le minimum eut été que les aménagements de ces abords soient pris en charge en totalité par la SEMOP, cette société d’économie mixte détenue par la SNCF (SNCF Gares et Connexions) et surtout par Auchan (via sa filiale immobilière Ceetrus) qui eux se construisent une solide manne financière sur un équipement créé grâce à des fonds publiques.
Une restructuration basée sur une exploitation privée de locaux publics …
La gare du Nord qui existe du seul fait d’un investissement public massif va purement et simplement être privatisée pour une durée de 46 ans, au bénéfice quasi exclusif de Ceetrus, la filiale immobilière du groupe Auchan pour la création d’un centre commercial géant calibré pour les consommateurs/voyageurs aux hauts revenus.
Et cette captation par le privé de ces espaces à hauts potentiels s’organise alors même que depuis les années 80, le réseau des lignes classiques a été négligé au profit du TGV. Les gigantesques pannes de la fin 2017, dans les gares parisiennes de Montparnasse, Saint-Lazare ou encore à Miramas (Bouches-du-Rhône), avec leurs milliers de voyageurs en rade, ont symbolisé les fêlures d’un système usé. Voies, ponts, caténaires, aiguillages, rails, ballast à renouveler, tous ces investissements ont pris un retard considérable et cela a un impact sur les circulations des trains et sur la qualité globale du service public que les usagers sont en droit d’attendre.
… qui ne s’insère pas dans le tissu économique du quartier…
Ce projet consiste en une hyper densification de la parcelle afin de créer plus de 50 000 m² de locaux à vocation commerciale dont une salle d’exposition, une salle de concert et 5 000 mètres carrés de bureaux en co-working , 7 000 mètres carrés “d’espaces verts” (dont une piste d’athlétisme de 1km), une salle de sport des terrains de padel, basket et de golf (avec conciergerie). La surface commerciale représentera 25 % de la surface totale de la gare du Nord qui a vocation à devenir un gigantesque centre commercial pour consommateurs à hauts revenus. La nouvelle surface de plancher destinée aux activités dépassera d’ailleurs celle consacrée aux circulations. C’est en soit édifiant.
L’objectif affiché d’ailleurs est de rivaliser avec la gare londonienne de Saint-Pancras, sauf que le tissu urbain et économique des deux métropoles n’est pas le même et qu’on ne peut pas transformer une gare en centre commercial géant sans prendre en compte son environnement. Cette implantation est susceptible de créer des tensions multiples y compris dans la commercialité et l’attractivité des commerces riverains, en diminuant le potentiel commercial des quartiers environnants.
Une gare doit être un lieu de mixité sociale et de circulations
Par ailleurs, ce projet ne tient aucun compte des difficultés qui restent importantes dans ce quartier de la gare du Nord, un quartier mixte socialement à la jonction entre les 10 e et 18 e , à proximité de quartiers relevant de la Politique de la Ville.
Il est essentiel que la SEMOP Paris Nord 2024 intègre dans son projet, les besoins du
territoire. La gare du Nord est un lieu d’attraction pour un grand nombre de personnes précaires ou en situation d’errance. Des acteurs associatifs interviennent déjà dans l’enceinte des gares en coordination avec les services de la SNCF, mais ces mêmes acteurs expriment le besoin de travailler dans des espaces dédiés, à l’intérieur de la gare, pour y accueillir, en complément des dispositifs existants dans le secteur, ce type de public en errance. Apaiser la gare du Nord ne saurait se résumer à en exclure les
personnes précaires qui tentent d’y trouver refuge. Il faut prévoir au sein de la gare un espace de repos pour les SDF.
On ne doit pas non plus faire l’impasse sur les impacts des pratiques des usagers de drogues et les liens à trouver et à renforcer avec la SMCR ouverte en octobre 2016 , 14 rue Ambroise Paré dans des locaux de l’hôpital Lariboisière avec une entrée distincte.
Si on s’intéresse au choix de ce site, il est utile de rappeler que la capitale est en constante interaction avec les territoires environnants. On sait sectoriser le trafic de drogues depuis le début des années 1980 avec la fermeture d’importants lieux de deal et de consommation (notamment l’îlot Chalon – gare de Lyon). Il se configure en une zone qui s’étend des Halles et remonte vers la Seine- Saint-Denis en passant par les gares de l’Est et du Nord et les portes de Clignancourt et de la Chapelle.
Une étude co-portée en 2008 par l’IAU IDF met en évidence une forte concentration de
population en errance dans les gares du Nord et de l’Est justement. Les caractéristiques notables qui la qualifient sont sa jeunesse et sa forte propension à consommer des produits psychoactifs. L’alcool, les médicaments détournés de leur usage (sulfates de morphine principalement), le cannabis, la cocaïne (sel ou base) et l’héroïne sont les principaux produits consommés dans ces lieux.
Gaïa et l’ARS (Agence Régionale de Santé) qui gère la SCMR ( Salles de consommation à moindre risque) travaillent en lien avec les associations destinées à favoriser l’accès aux matériels de consommation à moindre risque notamment via les automates (distributeurs, parfois collecteurs de kits usagés de consommation). On sait également que sur les 233 687 kits d’injection distribués en Île-de-France en 2017, 192 000 le sont sur le territoire parisien et presque la moitié de l’activité des automates de la capitale est réalisée rue de Maubeuge. La réponse que la SNCF doit apporter à cette réalité ne se situe pas dans la sécurisation et la fermeture de certaines de ses emprises rue de Maubeuge mais bien dans des liens à créer avec les acteurs qui travaillent
pour et avec les usagers de drogues.
C’est aussi cet objectif de mixité sociale et d’apaisement de ce lieu qui nous amène à demander davantage de toilettes gratuites au sein et en dehors de la gare afin de réduire certaines nuisances .
Faire de la gare un lieu attractif et innovant implique aussi de soutenir le développement d’activités à fort impact social.
Nous déplorons que la dimension ESS soit une des grandes oubliées de ce projet. L’entrepreneuriat social et solidaire porte pourtant un potentiel d’emplois important particulièrement dans le secteur de la mobilité active d’ailleurs. Nous demandons donc au delà des efforts consenti pour prendre en compte le développement des déplacements à vélos, un quota d’espace à loyers modérés pour garantir l’accessibilité des baux à différentes structures qui pourraient être du secteur des mobilités actives.
Il est essentiel aussi de prévoir des espaces modulaires dédiés à la vie citoyenne et au monde associatif du quartier : salles de répétition, de sport, de travail, espaces verts ouverts à tous et gratuits.
Pour les élu.e.s écologistes de Paris :
David Belliard, Président du Groupe des élu.e.s écologistes de Paris, élu du 11e arrondissement
Anne Souyris, Adjointe à la Maire de Paris chargée de la Santé et des relations avec l’AP-HP, élue du 10e arrondissement.
Sylvain Raifaud, Adjoint à la Maire du 10e arrondissement, chargé de la démocratie locale et du budget participatif, de la vie associative et des espaces verts