Intervention de Jérôme Gleizes relative au budget prévisionnel 2015
Madame la Maire,
Cher Julien,
Ce premier budget de la mandature marque une rupture tant par rapport à la logique mise en œuvre par le gouvernement Valls que par rapport à celui de l’ancien maire Bertrand Delanoë. Nous remercions l’écoute de Julien Bargeton qui a tenu en partie compte de nos analyses et de nos propositions. Cette rupture est un acte de courage, vu l’état de la gauche en France, qui devra être confirmée dans les années suivantes et dès 2015 dans l’exécution du budget, sur lequel le groupe écologiste sera vigilant comme nous le sommes depuis le début de la mandature.
En ce sens, le contre-projet de l’UMP est au mieux une erreur d’analyse, au pire un discours idéologique qui rend difficile le dialogue républicain. Le débat sur le travail du dimanche illustre parfaitement cet état de fait, mais les propositions du groupe UMP montrent la dangereuse convergence idéologique avec les propositions du ministre de l’économie, Monsieur Macron. Il y a une première erreur de nature épistémologique, croire que l’on peut répondre à une crise structurelle par des mesures conjoncturelles. La crise que nous vivons est une crise structurelle qui demande un changement de modèle. Une mesure micro-économique comme l’extension du travail le dimanche et la nuit n’est pas à la hauteur des enjeux mais j’y reviendrais sur la rupture de ce budget par rapport à la mandature Delanoé. La deuxième erreur est économique, croire qu’une extension des horaires de vente permettra d’augmenter le volume de ventes. Comme toutes les études économiques sérieuses qui ont été faites sur le sujet le montrent, cette extension permet uniquement de modifier les moments d’achat sans modifier le volume des ventes car le seul paramètre pertinent pour acheter reste encore le pouvoir d’achat, qui comme vous le savez toutes et tous stagnent avec la crise. La dernière erreur est sociale, sociétale, croire que la volonté des parisiennes et des parisiens est de travailler plus pour gagner autant, de consommer plus le dimanche. Ce sujet comme tant d’autres que vous relancez dans les propositions de votre contre-projet ont été tranchées lors de la dernière élection municipale. Vous pouvez toujours relancer le débat. Cela ne changera pas l’opinion des parisiennes et des parisiens qui ont voté pour la liste d’union de la gauche et des écologistes au deuxième tour des élections municipales.
La première rupture que nous soulignons est celle par rapport à la politique du gouvernement que j’ai pu critiquer dans d’autres lieux. Nous pouvons la qualifier d’irrationnelle, tellement les résultats sont en deçà des attentes, y compris sur la baisse des déficits ! La politique d’investissement de ce budget de 10 milliards sur la mandature est du bon sens. Quand l’initiative privée est insuffisante pour relancer l’investissement, c’est l’investissement public qui doit se substituer à l’investissement privé. D’ailleurs en première commission, Monsieur Pozzo di Borgo a défendu le principe de la dette pour financer l’investissement. Ce principe a servi de consensus économique entre la gauche et la droite pendant de nombreuses décennies. Les erreurs de la crise de 1929 avaient été corrigées après la seconde guerre mondiale mais la révolution néolibérale des années 80 a remis en cause ce consensus et a contaminé aujourd’hui la gauche. Ce budget ne fait que mettre en pratique ce principe économique de base, d’Adam Smith à Karl Marx, en passant par John Maymard Keynes : seul l’investissement peut créer de nouvelles richesses. Cela étant dit, se pose la question du financement dans un contexte de désengagement de l’État vis-à-vis des collectivités territoriales. Alors que le gouvernement critique les entreprises de ne pas investir malgré les 20 milliards du Crédit Impôt Compétitivité Emploi, la baisse de 11 milliards de dotations pour les collectivités territoriales dont 200 millions pour la Ville de Paris est une erreur économique majeure. L’investissement régulier de la Ville depuis 2001 est une des raisons qui explique que le taux de chômage parisien soit descendu structurellement en dessous du niveau francilien depuis fin 2011. La Ville de Paris doit prendre la tête des collectivités territoriales responsables qui s’opposent à la logique malthusienne gouvernementale. Face à cela, la Ville ne peut que s’endetter si elle veut soutenir un investissement qui préserve la situation économique parisienne, bien meilleure que le reste de la France.
La deuxième rupture que nous soulignons est celle par rapport à la mandature Delanoë. Les investissements ne sont pas forcement une solution à la crise structurelle que nous affrontons. Nous sommes dans une crise de nature différente de celle des années 30 du siècle dernier. Aucun grand projet inutile n’est imposé dans ce nouveau programme d’investissement de la mandature. Il reste quelques projets anti-écologiques comme la Tour triangle mais la conscience écologique s’impose petit à petit aux décideurs politiques. Il reste aussi les « coups partis » de la mandature précédente comme la Philharmonie et les Halles qui nous endettent inutilement. Nous devons veiller à ne pas commettre ces mêmes erreurs.
Nous avons déposé toute une série de vœux que ma collègue Joelle Morel développera dans quelques minutes sur le volet environnemental du budget car nous restons au milieu du guet. Je me permet d’insister sur les investissements écologiques qui marquent la différence entre une politique écologique et le verdissement d’une politique. La crise actuelle est profondément de nature écogique. Les mécanismes d’accumulation de capital qui ont permis les révolutions industrielles, les trente glorieuses butent sur les contraintes environnementales. Sans accumulation, pas de croissance, pas de redistribution des richesses. La première des contraintes est la raréfaction des ressources naturelles non renouvelables, à commencer par les énergies carbonnées, mais pas uniquement, les métaux, l’eau, les terres arables. La deuxième contrainte est la modification du climat due à l’action des êtres humains et à l’emission excessive des gaz à effets de serre qui modifient les écosystèmes, réduisent les rendements agricoles. La troisième est liée à la saturation des écosystèmes qui ne peuvent plus transformer la masse trop importante de déchets que nous produisons et qui sont incapables de dégrader les déchets chimiques qui s’accumulent et fragilisent entre plus les écosystèmes et notre santé.
Tout cela n’est pas éloigné de nous. Nous devons réduire l’empreinte écologique de Paris sur la planète. Rob Hopkins, l’un des théoriciens des villes en transition a montré l’importance des zones urbaines dans la construction de la résilience, la capacité de répondre aux crises écologiques, énergétiques et économiques. Cela doit être l’axe directeur de nos politiques publiques. De consommateur, la ville doit devenir producteur. Le meilleur exemple est ici la production d’énergie. La première des relocalisation, c’est celle de l’énergie. Il nous faut une stratégie, des outils pour réduire la consommation de tous les fluides qui alourdissent notre empreinte sur la planète. Nous avons commencé avec Eau de Paris. Nous devons continuer avec la CPCU, le SYCTOM. L’un des piliers de cette politique est la rénovation thermique du parc logement comme l’a rappellé ma collèque Galla Bridier. Comme la ville de Paris a été motrice dans la résorption de l’insalubrité en 2001, il faut que la ville soit aujourd’hui motrice dans un des principaux gisement d’économie énergétique. Après l’accord mitigé de Lima, Paris doit prendre la tête des collectivités territoriales mondiales qui luttent contre les changements climatiques en préparation du COP21 en France.
Nous avons néanmoins des points de désaccords. Céder 200 millions d’actifs immobilliers nous paraît être une erreur budgétaire, vaut mieux réfléchir à des baux emphytéotiques. C’est aussi une erreur stratégique si on veut assurer une transition écologique de la ville. Il faut maîtriser le foncier en gardant la propriété.
A l’inverse, nous allons être très regardants sur les subventions, notamment celles concernant l’innovation, pour éviter les effets d’aubaines, c’est-à-dire que les entreprises les auraient de toute façon financées. Par contre, les subventions que la Ville verse au secteur de l’économie sociale et solidaire, les points jeunes, ceux d’accès aux droits, les centres sociaux, etc. à tout le tissu associatif parisien, sont un soutien indirect à l’emploi parisien, qui évitent de nombreux licenciements. Un emploi sur six serait menacé au sein des associations, qui comptent 1,8 million de salariés en France, selon le Collectif des associations citoyennes. Une destruction sans précédent du tissu associatif est en cours ! C’est pour cela que nous voterons pas le vœu de Danielle Simonnet sur le maintien de la somme alloués aux subventions, le vœu du PCF sur la réduction des subventions à l’innovation ou à Paris et compagnie, pour des raisons identiques. En l’état de ce budget, nous n’avons pas assez d’élèments d’informations pour juger de la pertinence de ces vœux. Nous évaluerons délibération par délibération au cours de l’année 2015.
Pour terminer, je vais présenter 4 vœux qui visent à améliorer la situation financière de la ville de Paris. Le premier vœu est relatif à l’adhésion par la Ville de Paris à l’association April. Ce vœu est pour montrer la participation de la ville au soutien au logiciel libre. Cette association, créée en 1996, dont le siège social est à Paris, est le principal acteur en France de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts. Cette adhésion ne fera que confirmer que la relation ancienne entre la ville de Paris et l’association dans le cadre du projet Lutèce, pour l’organisation de conférence avec Richard Stallman à la Mairie de Paris et elle est complémentaire d’associations comme l’Adullact, dont la ville de Paris est déjà membre. De nombreuses villes comme Turin, Munich, Toulouse, ont économisées des millions d’euros.
Le deuxième vœu s’inspire d’expériences étrangères comme le dispositif « Community Land Trust » » qui a fait ses preuves, notamment aux États-Unis ou à Bruxelles. En dissociant la propriété de son sol et l’usage des bâtiments, la Ville de Paris pourrait s’assurer des ressources de manière pérenne sur du très long terme sans céder son foncier qui ne lui permettrait d’obtenir des ressources supplémentaires qu’à court terme. Ce vœu demande une étude sur les avantages et les inconvénients de l’ensemble des dispositions juridiques relatives aux modalités de cession ou de contractualisation en matière de terrains et de bâtiments dont la Ville et le département de Paris sont propriétaires (cessions, baux emphytéotiques, baux à construction, organismes de foncier solidaire…)
Le troisième vœu qui devrait intéresser le groupe si j’en crois leur contre-budget concerne les produits d’exploitation et les redevances qui paradoxalement enregistrent une baisse globale de 13 millions d’euros au Budget primitif 2015. Certaines redevances perçues sont encore bien en-deçà des montants que la Ville de Paris pourrait demander (Roland-Garros, site du Tir aux pigeons et du Polo de Bagatelle, culée du pont Alexandre III par exemple). Ce vœu demande que lors de ses prochains travaux pour examiner les renouvellements de concessions il y ait une commission d’élus relative aux contrats emblématiques et stratégiques pour la Ville de Paris avec pour objectif majeur la valorisation des redevances demandées dans le cas de concessions ayant un caractère rémunérateur important pour le concessionnaire afin d’éviter la réalisation de bénéfices importants au détriment des finances municipales.
Sur ce thème :
Intervention de Joëlle Morel sur le volet environnement
Intervention d’Aurélie Solans sur le volet éducation
Intervention de Sandrine Mées sur le volet transports / déplacements
Intervention de Marie Atallah sur le volet social
Intervention de Fatoumata Koné sur le volet culture