Faire de Paris la capitale de l’écologie
Partager

Texte de Jérôme Gleizes et David Belliard à lire sur Médiapart 

Envisager une autre relation au temps n’est pas facilité par la technique budgétaire de la comptabilité publique. Et pourtant il nous semble essentiel de constamment veiller à intégrer le temps long de la crise écologique dans le temps nécessairement court du budget. D’abord en assumant une réelle recherche d’efficience dans les dépenses de la ville de Paris. Loin des projets dispendieux et des dépenses somptuaires qui ont assombri les dernières années du mandat de Bertrand Delanoë, les dépenses doivent être concentrées sur les besoins réels de la population, le service public de proximité ou encore l’amélioration de la qualité de vie. Nous voulons entrer dans ce qu’on pourrait appeler un cycle vertueux de « sobriété efficace », et améliorer encore la gestion des finances municipales.

Ensuite, en articulant mieux investissements d’aujourd’hui et dépenses de demain. Pour illustrer cette volonté, l’exemple de ce qu’on appelle les fluides, c’est-à-dire les consommations d’eau, d’électricité, de gaz et de carburants, est frappant. Ces dépenses pèsent pour plus de 60 millions d’euros par an dans le budget d’une ville comme Paris. Or, comment lier les investissements d’aujourd’hui qui peuvent permettre de réduire les dépenses de fonctionnement de demain ? Pour cela, il faut avoir des informations qui permettent de connaître les consommations en volume pour pouvoir les réduire effectivement, et orienter nos choix d’investissement vers des technologies qui nous permettent d’optimiser ces consommations, notamment au travers de la rénovation énergétique des bâtiments municipaux. A cet effet, les écologistes ont demandé en début de mandature l’établissement d’un « bleu » budgétaire sur ces consommations, c’est-à-dire un document qui donne le détail de la consommation des fluides de la ville. Souvenons-nous que nous avons réduit notre consommation en eau depuis que nous sommes passés en gestion municipale et en changeant nos comportements. Nous devons en faire autant pour les dépenses énergétiques. Mieux, notre ville doit devenir productrice de l’énergie qu’elle consomme !

Paris a reçu récemment la visite de Rob Hopkins, l’un des théoriciens des « villes en transition ». Nous devons construire la résilience de Paris, sa capacité de répondre aux crises écologiques, énergétiques et économiques. Cela doit être l’axe directeur de nos politiques publiques. De consommatrice, la ville doit devenir productrice. Le meilleur exemple est ici la production d’énergie. La première des relocalisations, c’est celle de l’énergie. Il faut utiliser le patrimoine de la ville pour installer des panneaux photovoltaïques, voire des éoliennes, et éviter les fausses solutions comme la valorisation dite énergétique des déchets dans de grands incinérateurs comme les écologistes le dénoncent au Syctom (l’agence métropolitaine des déchets ménagers).

Remettre à plat la politique de cession des biens de la ville

Dans de nombreux domaines, les faits prouvent que la ville et les collectivités territoriales sont de meilleurs gestionnaires de l’usage et de la production des biens communs que des entreprises privées.

Ainsi, les écologistes pensent que céder de manière systématique, pour un montant annuel de près de 200 millions d’euros, des bâtiments et terrains jugés inutiles est une erreur budgétaire et stratégique. Nous voulons que l’ensemble des outils de gestion de ces biens puisse être envisagé, dans la perspective de leur valorisation pour l’intérêt public, aujourd’hui et demain. Pour cela, nous devons envisager des solutions innovantes, qui distinguent la nue propriété et l’usufruit, ou les proposer, le cas échéant, à des opérateurs via des baux emphytéotiques. Bref, nous voulons que la stratégie de gestion de ces biens ne se réduise pas à l’horizon de leur seule et unique cession et que, pour les cas où cela est nécessaire, notre ville garde la maîtrise de leur gestion sur le long terme.

Oser la carte de l’économie sociale et solidaire

De même, considérer la masse salariale comme un budget à stabiliser est une mauvaise manière, dans une logique écologique, d’appréhender la question des moyens humains uniquement à travers le coût du travail. Il faut mesurer l’apport du travail par les économies et la valeur ajoutée pour la collectivité qu’il apporte. D’une manière générale, les délégations de service public (DSP), qui consistent à déléguer à une structure privée une tâche de service public, méritent qu’on s’y attarde. Elles concernaient en 2012 180 contrats et constituent la principale source de financement de l’espace public avec 111,2 millions d’euros.

Externaliser un service peut souvent s’avérer plus coûteux que le faire en interne ou, pire ! Etre une manière détournée de transférer la responsabilité sociale de la ville à des entreprises qui maltraitent leurs salariés. La transition écologique ne peut passer que par plus de lien social et moins de capital. Dans le même esprit, il peut s’avérer plus utile de confier la responsabilité de certaines tâches à des structures externes, qui en maîtrisent et la compétence de gestion et les valeurs sociales nécessaires à leur bon déroulement. A ce titre, le vivier de savoir-faire et d’initiatives que recèle le vaste champ de l’économie sociale et solidaire peut et devrait être plus sollicité. Les DSP peuvent constituer des outils très efficaces pour promouvoir ces structures.

Malheureusement, tous ces éléments qui permettent d’évaluer utilité sociale, savoir-faire de gestion et qualité de service ne sont jamais explicités. Et souvent les élus manquent d’éléments pour juger sereinement du bon choix. De nouveaux indicateurs doivent donc être mis en place, pour intégrer au minimum des notions d’utilité sociale et environnementale.

Revoir la stratégie des délégations de service public

Concernant les DSP qui gèrent des biens communs comme l’eau, l’énergie ou encore les déchets, les entreprises privées qui gèrent ces biens ne le font évidemment pas par philanthropie, mais bien parce qu’elles peuvent dégager des bénéfices substantiels. Ces secteurs ont en effet la particularité de constituer des rentes de situation, dues notamment à des économies de réseaux. De facto, l’externalisation implique le transfert de cette rente de la ville vers l’entreprise bénéficiaire de la DSP. D’une part, il est crucial de déterminer le bon niveau de la redevance, en prenant en compte que Paris constitue une vitrine pour de nombreux groupes, comme elle l’est pour les services Vélib’ ou Autolib’ des groupes Decaux et Bolloré.

D’autre part, il s’agit de bien définir si la DSP est plus intéressante pour les Parisiennes et les Parisiens que le contrôle municipal. Dans le cas de la DSP, une fois la redevance définie, l’entreprise s’efforce d’avoir le bénéfice le plus élevé possible alors que dans le second cas, l’objectif est de minimiser le coût ou d’améliorer le service. La meilleure illustration en est l’eau à Paris. Le passage en régie a permis de baisser le prix de production de l’eau potable pour atteindre moins de 1 euro le mètre cube alors que le SEDIF en IDF dépasse les 1,5 euros, soit pas moins de 50 % de plus ! Ainsi, Paris devrait certainement anticiper les dates de fin de DSP pour étudier l’opportunité de continuer à déléguer. Cette analyse pourrait aussi concerner des marchés d’appel d’offre.

Une ville qui collabore avec ses voisins

Un autre sujet nous distingue de nos partenaires socialistes : la vision stratégique de la ville. Pour nous, il ne faut pas prôner la concurrence des territoires, que cela soit à l’échelle francilienne ou à l’échelle mondiale mais la coopération des territoires. Nombre de nos dépenses à travers les subventions n’ont pour objet que d’attirer des capitaux au détriment de nos voisins franciliens. Pourtant, si on reprend les concepts du monde de l’entreprise, Paris bénéficie d’un bon « goodwill », c’est-à-dire d’une survaleur due à l’histoire de Paris, à son image ancrée de capitale historique, à ses investissements passés qui font de notre ville la première destination touristique mondiale et la place dans le haut de nombreux classements internationaux.

A l’aune de cette plus-value « naturelle » de la capitale, l’inscrire dans un contexte de compétition avec ses proches voisins relève au mieux d’une concurrence déloyale, au pire d’un non-sens. Nous avons au contraire tout à gagner à travailler avec les territoires qui nous entourent si nous voulons répondre aux enjeux liés à la pénurie de logements, à l’élaboration de réseaux de transports collectifs et doux ou encore au développement d’activités plus respectueuse de l’environnement et répondant à de vrais besoins sociaux.

Une dette soutenable pour des investissements durables

Enfin, sur le rôle de la ville comme acteur structurant de l’économie locale. Les écologistes pensent que la puissance publique, et en particulier les collectivités territoriales, sont des acteurs stratèges. Elles ont un rôle majeur à jouer pour orienter les activités sur leur territoire. Elles peuvent ainsi impulser le passage de certaines filières économiques vers une économie verte. Ainsi, une vaste politique de rénovation énergétique des bâtiments impulsés à tous les niveaux (européen, national et local) par des acteurs publics auraient pour effet de créer un appel d’air pour les entreprises du bâtiment, et de les inciter, par la demande publique, à se doter de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire en lien avec la rénovation des bâtiments. La structuration d’une telle filière aurait un effet d’entraînement créateur d’emplois qualifiés et non-délocalisables. Certes, Paris, comme l’ensemble des collectivités territoriales en France, souffre de la baisse des dotations de l’Etat, baisse particulièrement dangereuse et que nous avons dénoncé à plusieurs reprises.

Toutefois, notre ville bénéficie encore de marges de manœuvre pour impulser de tels mouvements, en particulier grâce à une dette aujourd’hui à un très faible niveau. Nous devons nous saisir de cette opportunité pour continuer à investir fortement dans des domaines aussi essentiels et créateurs d’emplois que ceux liés à la transition écologique. En un mot, nous voulons pour notre ville une dette soutenable pour des investissements durables.

Car entendons-nous, si le chômage a diminué à Paris, c’est bien parce qu’on a investi plus d’un milliard par an depuis 2001. Les autres subventions ne sont que des effets d’aubaines, c’est-à-dire que les entreprises les auraient de toute façon financés. Par contre, les subventions que la ville verse au secteur de l’économie sociale et solidaire, les points jeunes, ceux d’accès aux droits, les centres sociaux, etc. à tout le tissu associatif parisien, sont un soutien indirect à l’emploi parisien, qui évite de nombreux licenciements. Ce point est particulièrement important quand on sait qu’un emploi sur six serait menacé au sein des associations, qui comptent 1,8 million de salariés en France, selon le Collectif des associations citoyennes.

Pour résumer, nous pouvons faire de Paris la capitale de l’écologie, si tant est que nous assumions des lignes fortes pour l’élaboration du budget et de notre plan d’investissements : utilité des dépenses, priorité à la justice sociale, investissement dans la transition écologique.

 

David Belliard, conseiller de Paris du 11e arrondissement, co-président du Groupe écologiste de Paris, membre de la commission Finances – Commerce – Emploi – Ressources humaines du Conseil de Paris
Jérôme Gleizes, conseiller de Paris du 20e arrondissement, membre de la commission Finances – Commerce – Emploi – Ressources humaines du Conseil de Paris

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *