Nous devons repenser intégralement notre modèle d’organisation économique, sociale et urbaine
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Dans ses mémoires, Chateaubriand pointait, je cite, “ces moments de crise qui produisent un redoublement de vie chez les Hommes”. Et bien, nous y sommes, à ce moment qui semble nous dire que nous pouvons sortir de l’obscurité et vivre de nouveau.

Bien sûr, il faut rester prudent. Le virus est toujours parmi nous et sa propagation toujours effective. Mais nous sommes à un moment de bascule, où nous devons continuer le déconfinement pas à pas, tout en préparant l’après.

Car, faut-il le rappeler, la crise sanitaire que nous connaissons est intimement liée à la catastrophe écologique. La déforestation, l’artificialisation des sols, les pollutions des eaux, des terres et de l’air, la destruction massive du vivant, cette extrême fragilisation de nos écosystèmes augmente le risque de développement de nouvelles souches virales, et s’ajoute à la longue liste des catastrophes et des destructions probables et futures liées aux dérèglements climatiques.

Si nous voulons nous en préserver, nous devons repenser intégralement notre modèle d’organisation économique, sociale et urbaine.

Et s’il est un premier enseignement que nous pouvons tirer de ces derniers mois, si certains en doutaient, c’est que c’est possible.

En quelques semaines, la moitié de l’humanité a subi des mesures extrêmes de limitation des libertés individuelles et collectives pour se préserver du risque pandémique.

En quelques semaines, des gouvernements ont fait sauter des règles budgétaires qui, hier encore, nous étaient présentées comme intouchables.

En quelques semaines, des milliers de pistes cyclables ont été créées dans des dizaines de villes dans le monde, alors qu’hier encore, la voiture individuelle y était encore l’alpha et l’omega.

Agir n’est pas une vue de l’esprit, c’est un possible réalisable, selon le vieil adage “si on veut, on peut”. Nous savons que la crise économique va, selon toute vraisemblance, être redoutable. L’autre danger qui guette serait qu’elle emporte avec elle toute espérance d’un autre monde sous prétexte qu’il faut d’abord survivre. Face à cela, nous devons concilier la nécessaire évolution de notre monde et la préservation des plus fragiles.

Les questions d’égalité et de solidarité sont au coeur de ce projet de transformation.

Comment vouloir lutter efficacement contre l’épidémie via le port de masques – qui devrait être obligatoire dans l’espace public- s’ils ne sont pas gratuits et / ou pris en charge par la sécurité sociale ?

C’est une question de santé publique que d’assurer la gratuité des soins et des dispositifs médicaux de première nécessité, comme c’est une question vitale que de libérer l’hôpital public du dogme d’un management libéral en finançant le service public hospitalier.

Comment permettre le respect des distanciations physiques dans notre ville si dense sans augmenter la surface d’espace public accessible, en laissant fermés les parcs et les jardins ?

Comment espérer sortir de cette crise sans permettre à chacune et à chacun d’être sécurisé dans son droit au logement ? Ces semaines de confinement ont fragilisé de nombreux ménages, nous risquons d’en voir  les répercussions dans quelques mois.

La trêve hivernale doit être prolongée jusqu’en mars 2021. Mais c’est au-delà que nous devrons faire en sorte qu’aucune expulsion pour cause d’impayé n’ait lieu.

Au final, le respect des injonctions sanitaires est toujours lié à des questions d’égalité et de solidarité, comme il est toujours lié à une démocratie vivante. Dans un contexte de fortes contraintes qui rognent sur nos libertés individuelles, leur acceptation se fait à la condition d’être partagées et co-construites avec les citoyennes et citoyens eux-mêmes. C’est tout l’enjeu d’une refonte de nos modes de gouvernance, et plus spécifiquement d’une nécessité de renouveau de notre démocratie sanitaire.

Partager largement les diagnostics, élaborer les solutions ensemble, c’est le sens de notre proposition de création d’un conseil citoyen, que j’ai formulé lors du précédent conseil de Paris.

Solidarité, égalité d’accès aux soins et à la nature, proximité, démocratie, sont constituants du nouveau modèle que nous devons inventer.

Durant cette crise, l’urgence de relocaliser l’activité est apparue de manière flagrante, notamment à travers les difficultés d’approvisionnement des masques que nous avons rencontrées.

J’ai entendu beaucoup de commentaires sur les masques reçus de la part d’élus dont les familles politiques ont accompagné la délocalisation de pans entiers de notre production vers des pays à bas coûts de main d’oeuvre, moins le mea culpa sur ces décisions qui nous ont privés de capacité de production et de savoir-faire essentiels.

L’économie sociale et solidaire a pour sa part durant cette période montré son agilité et sa capacité d’adaptation, tant sur la production de masques réutilisables que sur des actions de solidarités et de proximité. Nous saluons les 4 millions d’euros d’aides qui leur sont promis, qui restent insuffisants au regard des 200 millions versés pour l’économie plus conventionnelle.

Il nous faudra penser un plan de grande ampleur pour le développement de l’ESS si nous voulons véritablement changer d’échelle, au travers notamment d’un soutien aux emplois aidés, supprimés par le gouvernement mais pourtant essentiels au fonctionnement de certaines structures et qui permettent à tant de jeunes de se construire une expérience professionnelle.

Enfin, j’ai une pensée particulière pour les commerçants indépendants qui ont subi la crise de plein fouet, les bistrots, bars et restaurants, qui constituent l’âme de la vie parisienne. Les actions en leur faveur vont dans le bon sens, notamment l’exonération des droits de voirie. Elles doivent être l’occasion d’aborder rapidement de nombreux sujets avec les acteurs de la profession, des terrasses chauffées à l’instauration de démarches zéro plastique et zéro déchet.

Au niveau local comme national, les aides publiques doivent être conditionnées à la recherche d’un fonctionnement écoresponsable.

Rien ne serait pire que le “business as usual”.

Sur un éventuel agrandissement des terrasses sur des places de stationnement, nous avons fait la proposition il y a des mois maintenant de transformer ces espaces. Mais cela pose de vraies questions, d’une part la concertation des riverains et le respect de leur cadre de vie, notamment en termes de nuisances sonores, et l’accessibilité et la gratuité de l’espace public, qui constitue notre bien commun.

Pour finir, il nous faut tout faire pour éviter un retour massif de la voiture à Paris. Pour cela, il nous faut terminer très vite les 50 premiers kilomètres de pistes cyclables supplémentaires prévues, et en faire plus, en particulier dans les quartiers populaires. Il nous faut aussi avancer sur les travaux de piétonnisation, en commençant par les abords des écoles.

Libérer Paris de la voiture, rendre l’espace public aux habitants, c’est un horizon à portée de main, pour enfin, redoubler de vie.

Je laisserai mes collègues Fatoumata Koné et Jacques Boutault développer notre analyse et nos propositions, en particulier sur les questions de solidarité et de culture.

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