Demande de contrôle de légalité sur la convention de mécénat entre Total et le Théâtre du Chatelet
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Monsieur Michel Cadot
Préfet de la région d’Ile-de-France
Préfecture de Paris
5 rue Leblanc
75911 Paris Cedex 15

 

         Paris, 07/01/2019

 

Objet : contrôle de légalité d’une délibération adoptée lors de la séance du Conseil de Paris des 14, 15, 16 et 19 novembre 2018

 

Monsieur le Préfet,

 

Lors du Conseil de Paris qui s’est tenu du mercredi 14 au lundi 19 novembre 2018, a été adoptée la délibération suivante : 2018 DAC 74 Convention tripartite de mécénat avec la Fondation du patrimoine de Total, la Ville de Paris et l’association Théâtre Musical de Paris pour le financement des travaux du Grand Foyer du Théâtre du Châtelet.

 

Nous craignons, que dans le cadre de cette convention de mécénat qui va durer 5 ans, il existe une disproportion marquée entre la somme reçue par la Ville de Paris et les contreparties qui seront données au mécène, au détriment de la Ville de Paris. Nous aimerions en conséquence, Monsieur le Préfet, que soient vérifiés certains points de légalité de cette délibération et notamment regarder si cette convention de mécénat (pièce jointe n°1) ne pourrait pas être requalifiée en marché public.

 

La Fondation du patrimoine de Total est une émanation du groupe Total comme l’indique les mentions légales du site internet de la fondation (pièce jointe n°2 ; voir également, l’annexe du rapport de l’observatoire des multinationales, pièce jointe n°3)

 

Non-respect de la loi 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, par l’entreprise Total

 

Depuis l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, les grandes entreprises doivent établir et publier un plan de vigilance pour prévenir  “les risques et les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société”. (Art. L. 225-102-4. du code du commerce). Cela concerne ”toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger.” L’extrait de la présentation de la firme Total montre que cette société respecte ce critère (pièce jointe n°2).

Ce plan doit comprendre une cartographie des risques, des procédures d’évaluation de ses filiales, sous-traitants et fournisseurs, un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures de prévention mises en œuvre.

Or, des collectivités accompagnées de quatres associations alertent depuis plusieurs mois sur la faiblesse du plan de vigilance publié par l’entreprise Total (pièce jointe n°4). Ils ont lancé un appel où ils dénoncent “l’absence, dans son plan de vigilance, de référence au risque climatique et d’actions adaptées pour le réduire”, et invitent la firme à s’inscrire dans une trajectoire conforme à l’Accord de Paris et au dernier rapport du GIEC.

 

Non-respect de l’article 14 de la convention sur la “Charte de recours au partenariat pour les évènements organisés par la Ville de Paris”

 

Les émissions de gaz à effet de serre de ce groupe industriel, qui figure au 19e rang des plus grands pollueurs du monde selon un rapport de l’ONG Carbon Disclosure Project publié en 2017 et  représentent à elles seules plus de deux tiers de l’ensemble des émissions de la France, la faiblesse de leur plan de vigilance est donc d’autant plus inacceptable et contrevient notamment à la “Charte de recours au partenariat pour les évènements organisés par la Ville de Paris” jointe en annexe de cette convention de mécénat (pièce jointe n°1).

En effet, dans cette charte est indiqué que “dans leur activité, les partenaires devront montrer leur respect des règles et principes adoptés par la Ville de Paris en matière d’environnement et de santé”

Dès lors, par ce mécénat, la Ville de Paris, qui par ailleurs s’est engagée à sortir de la dépendance des énergies carbonées, fait dépendre la préservation de son patrimoine, de l’argent d’une des firmes les plus polluantes de la planète et la valorise en retour.

 

Disproportion marquée entre les sommes données et la valorisation de la prestation rendue

 

La Fondation du patrimoine de Total va apporter un soutien financier de 250 000 euros à la Ville de Paris, soit 78 % des dépenses prévues pour les travaux du Grand Foyer du théâtre du Châtelet (article 2 de la convention). En contrepartie, la Fondation du patrimoine de Total va avoir l’exclusivité de la visibilité sur le mécénat de l’opération (article 5). Une plaque sera apposée sur l’opération du grand foyer (article 6.1.1). Le logo et le nom du mécène seront utilisés pour toutes les actions de communication sur cette opération (article 6.1.2). Le mécène pourra utiliser le logo de la Ville de Paris (article 6.1.3). Par ailleurs, des visites du théâtre, des invitations à l’inauguration de la fin des travaux (sans que nous en connaissons le nombre) sont évoquées dans la convention de mécénat. Il est évoqué également la mise à disposition d’espaces au bénéfice du mécène sur une durée de 5 ans à l’issue des travaux.

 

Si toutes ces contreparties sont difficilement chiffrables à ce jour, eus égards à la notoriété et à l’emplacement du théâtre, le risque est réel que l’article 6 de cette convention ne puisse être respecté. Cet article stipule en effet que le “montant cumulé des contreparties ne pourra pas dépasser 25 % de l’apport total du mécénat du mécène tel que figurant à l’article 2 soit 62 500 euros. Les contreparties devront, en tout état de cause, demeurer significativement disproportionnées par rapport au montant total du don, objet des présentes.” Selon nos informations, l’ensemble du bâtiment, réservé aux mécènes ayant donné plus de 200 000 euros, coûte 50 000 euros hors frais technique. Comme la convention est prévue pour 5 ans (article 4), cela signifie qu’un seul événement est possible.

 

Requalification de cette opération de mécénat en marché public

 

S’agissant normalement d’un acte à titre gratuit, le mécénat, ne peut pas être assimilé à un marché public. Par conséquent, lorsqu’une personne publique fait appel au mécénat, elle n’est alors pas soumise aux règles de mise en concurrence. Sauf que la jurisprudence du Conseil d’Etat tend à considérer que le non-respect du principe de disproportion marquée doit entraîner une requalification de ce type de convention de mécénat en contrat de marché public (CE Ass., 4 novembre 2005, n° 247298).

Et concernant le caractère onéreux d’un contrat, il ne résulte pas nécessairement du versement d’une somme d’argent par la personne publique, il faut également prendre en compte les contreparties non financières. En l’occurrence, concernant cette convention de mécénat qui fait l’objet de cette requête, nombre de contreparties consenties par la Ville de Paris relèvent d’un renoncement à des sommes qui auraient pu lui être dues. Ainsi, nous pensons que nous entrons dans le cadre de l’article 1er du code des marchés publics : « les marchés publics sont des contrats conclus à titre onéreux avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit public.»

 

En conséquence, Monsieur le Préfet, nous vous demandons d’étudier la requalification de cette convention de mécénat en marché public.

 

En l’attente de votre réponse, nous vous remercions de l’attention portée à notre demande et nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de notre considération distinguée

 

 

David BELLIARD
Président du Groupe Ecologiste de Paris
Conseiller de Paris
Conseiller à la métropole du Grand Paris

 

Jérôme GLEIZES
Conseiller de Paris
Conseiller à la métropole du Grand Paris

 

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