Bernard Maris, économiste citoyen
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Intervention de Jérôme Gleizes en hommage à Bernard Maris

Madame La Maire,

Chers collègues,

 

C’est avec beaucoup d’émotion que j’interviens pour apporter le soutien du groupe écologiste à cette délibération qui va voter une subvention de 20 000 euros à l’association « Pour une Alliance Sciences Société » qui organise plusieurs hommages à mon ami Bernard Maris, lâchement assassiné le 7 janvier dernier. Un premier hommage a déjà eu lieu à la Cartoucherie avec un banquet civique, intitulé « Les îles Maris », qui a refusé du monde.

Cette délibération me permet de revenir sur cet homme, dont l’œuvre est méconnue, sauf celle sous sa plume d’Oncle Bernard. L’un des objectifs de l’association « Pour une Alliance Sciences Société » est d’ailleurs la création d’une chaire universitaire éponyme pour valoriser son parcours. Bernard Maris était un keynésien écologiste. Il était plus que le keynésien servant de caution hétérodoxe aux économistes libéraux dans les débats radiophoniques ou télévisuels, et aussi, plus que l’écologiste radical décroissant de Charlie Hebdo pouvant écrire que « la croissance est une infamie »ou que « Les publicitaires ont créé la confusion entre croissance et activité. »

Bernard Maris était un économiste citoyen comme Keynes, sa référence intellectuelle. Comme l’auteur du Traité de Probabilité, il possédait une culture mathématique, lui permettant de s’affranchir des mandarins comme son confrère toulousain, Jean Tirole à propos duquel il disait : « Les théoriciens de l’économie économie industrielle sont une secte, dont l’obscurantisme et le fanatisme donnent froid dans le dos. Il n’est pas difficile de repérer le taliban sous l’expert, et le fou de Dieu sous le fou de l’incitation. » Mais il était surtout, je le cite, « le maître en économie doit être mathématicien, historien, homme d’État, philosophe à certain niveau. Il doit comprendre les symboles et parler en mots. » Ce qu’était Bernard Maris, un homme cultivé, passionné de psychologie, inquiet de la dérive de nos sociétés qui a écrit un livre magistral en 2009 avec Gilles Dostaler « Capitalisme et pulsion de mort ». Je cite encore « Le capitalisme canalise les frustrations des hommes, les empile, comme il accumule le capital, et fait gonfler des bulles qui finissent par crever comme des bombes. »

 

Par ailleurs, Bernard Maris ne sombrait pas dans le keynésianisme vulgaire de celles et ceux pour qui Keynes se résume au principe de la relance par la demande et au modèle IS/LM qu’on enseigne à Science-Po. Son antimanuel d’économie en deux tomes est un vrai manuel d’économie politique dans la tradition de ceux qui n’écartent aucune théorie, en lien direct avec les faits. Si un réel hommage devrait lui être rendu alors il faudrait rompre avec les actuelles politiques économiques mortifères : « La croissance infinie dans un monde fini est une absurdité. Il faut que nous organisions nos économies autrement. » Il faut au contraire « envisager une soumission de l’économie à la société, (…) au-delà (…) d’une croissance durable ou soutenable, une ‘croissance intelligente et civilisée’ où, les besoins vitaux étant largement satisfaits, l’humanité pourrait précisément se consacrer aux humanités…. ».

Je vais terminer par une citation de Keynes pour continuer le programme de réflexion en d’économie comme l’a fait Bernard Maris : « Pour la première fois depuis sa création, l’Homme fera-t-il face à son problème véritable et permanent : comment employer la liberté arrachée aux contraintes économiques ? Comment occuper les loisirs que la science et les intérêts composés auront conquis pour lui, de manière agréable, sage et bonne ? »

Bernard Maris a été victime de cette pulsion de mort que craignait Keynes avec raison dans les années 30. Quand Bernard Maris critiquait l’euro, n’oublions pas le livre magistral de Keynes, Les Conséquences économiques de la paix, ouvrage écrit en 1919, où il critiquait et anticipait les conséquences désastreuses du Traité de Versailles. Tout comme Keynes a annoncé dès 1919 les risques d’un effondrement mondial, il n’y aurait pas meilleur hommage que d’écouter les alertes de Bernard Maris.

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